Dans le droit fil du président de la République qui rendait responsables (à l’excès) des émeutes et des violences de l’été dernier les enfants livrés à eux-mêmes et leurs parents démissionnaires, prenant prétexte d’une série de drames récents dont des mineurs parfois – pas toujours – peuvent être tenus pour les auteurs, le premier ministre Gabriel Attal confirmé hier son analyse première : c’est bien la « culture de l’excuse » qui explique la violence des jeunes. On fera désormais preuve d’un « sursaut d’autorité ».
On aurait aimé que le premier ministre illustre ce qu’il entendait par culture de l’excuse, mais les règles de la communication politique moderne veulent qu’on assène des vérités présentées comme première sans qu’on les documente. Ce qui permet à Gabriel Attal, premier communicant, d’avancer un jugement de cette nature sans démonstration susceptible de supporter l’analyse critique, sinon de convaincre.
On en est reduit à des conjectures. S’agit-il d’une référence implicite au fait que l’enfant serait désormais roi dans notre société comme l’avancent ceux qui condamnent la prise en compte du fait que l’enfant est une personne ? Ou la reprise du discours d’une certaine droite qui tient la justice pour laxiste et confond atténuation de la responsabilité pénale des enfants avec irresponsabilité pénale ? Doit-on rappeler au premier ministre que la réponse judiciaire à la délinquance révélée des jeunes est fréquemment à caractère répressif quand la loi veut ou voulait encore récemment – ordonnance du 2 février 1945 – qu’elle soit exceptionnelle? Doit-on encore lui rappeler que c’est sous la présidence d’Emmanuel Macron qu’a été adopté un Code de justice pénale des mineurs entré pour nous disait-on devait garantir une réponse pénale rapide, sinon ferme, aux actes commis par les moins de 18 ans.
Mais, somme toute, là n’est pas l’essentiel. Nous partageons depuis les années 80 que nombre de jeunes sont très tôt dans la toute-puissance faute de l’encadrement familial qui leur aurait nécessaire. Cette carence tient au fait même des pratiques matrimoniales qui veulent que les adultes tracent leur route en liberté sans assumer nécessairement leurs responsabilités à l’égard de leurs enfants. Et ce avec la caution de la loi. Ainsi, au nom de la liberté des adultes nombre d’enfants n’ont pas de père de référence soit que le géniteur n’assume pas sa filiation soit qu’il ait abandonné à la mère la charge de l’éducation et de la protection de leur enfant commun. Ajoutons que le législateur n’a toujours pas consacré les droits et devoirs des beaux-parents quant aux actes de la vie quotidienne à l’égard d’enfants qui ne sont pas les leurs mais qu’ils accueillent parfois sur des années.
La réalité rejoint la prédiction.
Nous prédisions à l’époque que ces enfants dont nous avions à connaître pour être en danger et en grande souffrance seraient préoccupants au moment de l’adolescence. Nous appelions à un soutien éducatif réel et à une démarche d’accompagnement renforcée au bénéfice de ces parents esseulés. Et déjà que la loi garantisse à tout enfant une double présence parentale au moins juridique dans et par-delà les vicissitudes de la vie matrimoniale.
Constatons aujourd’hui que la loi n’a toujours pas été adaptée (voir nos nombreux billets sur ce blog) et que nombre de mesures judiciaires de soutien éducatif, voire d’accueil hors du domicile, tant civiles que pénales ne sont pas exercées ou tardivement quand le temps à une telle importance pour des enfants. Nous touchons donc les dividendes prévus de ces défaillances. Plus grave encore d’autres générations lèvent qui, elles aussi, seront préoccupantes si nous ne réagissons pas rapidement … sur le bon registre : l ‘éducation
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Imaginer de répondre à ces carences par la seule affirmation d’une autorité si celle-ci n’est pas vécue comme protectrice est qu’une illusion. L’autorité n’est respectée que parce qu’elle est respectable pour, tout compte fait, rapporter un bénéfice à celui qui la supporte. L’enfant, come l’adulte au demeurant, la contestera dans l’instant ou pour la forme, mais au final s’y résoudra car il la tiendra pour sévère mais juste. Principe de pédagogie de base pour quiconque a été enfant, sinon parent.
Or tout ce qui est proposé par le PM est loin du compte même si l’on peut partager des constats et des objectifs. L’ensemble des mesures avancées relève de la mobilisation dans l’urgence des fonds de tiroir, de l’improvisation au sens où on ne s’est pas penché sur la faisabilité et ce qui a pu jusque-là empêcher la mise en œuvre de la mesure dont qu’il s’agit. Fréquemment on semble ignorer que d’ores et déjà dans la boîte à outils il existe les instruments dont on n’a pas tiré les bénéfices attendus sans pour autant là encore s’interroger sur les causes de ce blocage. Plus grave, parfois ,avec des mesures présentées comme simples et de bon sens, on s’apprête à fragiliser l’ensemble du dispositif que l’on entend renforcer.
Exemple typique de mesures de bon sens et hors sol, le projet d’orienter vers des internats – rappelant les velléités en ce sens de N. Sarkozy ! – des enfants en difficulté dans les structures classiques de l’Education nationale. On avait déjà appris de la bouche du président de la République que 50 000 places disponibles n’étaient pas mobilisées (sic). Relayant l’idée le garde des Sceaux nous avait dit il y a quelques semaines qu’il était projeté de mandater les policiers pour se rendre au domicile des familles fin de prendre en charge les enfants et les accompagner (sic) en internat. Avec quel objectif ? Au risque de confondre les internats scolaires avec les internats éducatifs exigeant un encadrement renforcé et adapté à des jeunes présentés comme étant perturbés, sinon violents. Comment imaginer un seul instant que des parents démissionnaires et des enfants dans la toute-puissance acceptent à chaud une telle orientation ? Pour le coup, le PM et le GDS devraient faire un stage dans un cabinet de juge pour enfants, interroger magistrat et éducateurs sur la difficulté de l’exercice qui exige pour se concrétiser du temps et de la compétence, voire de la diplomatie et en tout cas du crédit.
Que dire du souci certes bien-fondé de ne pas laisser des enfants livrés à eux-mêmes dans leur quartier alors en leur imposant une présence dans un établissement scolaire du matin au soir, mais qui revient à véhiculer plus que jamais l’image que l’école est un lieu de gardiennage quand elle avait voulu s’en distancier ? À juste titre les syndicats enseignants ne manquent pas de s’interroger sur les personnels qui vont être mobilisés à cet effet et sur les activités susceptibles être proposées à ces jeunes si ce n’est des activités scolaires ? Avec quels moyens nouveaux ? les a-t-on même mesuré ? Et quid des jours non scolarisés ?
Tout cela révèle on l’admettra relève l’improvisation et le manque d’aboutissement de la réflexion.
On évoque l’idée de travail d’intérêt général pour les parents qui n’exercerait pas leur responsabilité quand d’ores et déjà pratique 227-17 du code pénal prévoit des peines d’amende et d’emprisonnement sachant la limite de l’exercice : faire d’un parent un délinquant condamné n’est peut-être pas la meilleure image à renvoyer au jeune en butte à ‘autorité ! Surtout ne sont pas prises en compte des initiatives d’ores et déjà développées voici 15 ans par Remy Heitz alors procureur de la République à Metz de stages de parentalité pour éviter justement d’avoir à recourir à des poursuites pénales avec la limite bien évidemment d’apprendre à être parent en 5 fois 6 heures !
On parle d’introduire la possibilité de travail d’intérêt général pour les moins de 16 ans on alternative aux poursuites quand d’ores et déjà le parquet dispose de la possibilité de proposer sous la menace de poursuites des mesures de réparation voire le travail non rémunéré. Là encore la difficulté n’est pas dans la loi, mais dans les moyens humains et financiers mobilisables.
On entend revenir sur l’excuse atténuante de responsabilité qui veut que la peine maximale encourue par un mineur soit de moitié de celle encourue par un majeur ayant commis des faits analogues présentée classiquement et rapidement comme une excuse de minorité. On rappellera ainsi que 2 mineurs de 14 ou 15 ans qui dérobent un téléphone portable dans la cour d’une école en bousculant son propriétaire encourent 10 ans divisé par 2 soit 5 ans d’emprisonnement ! Et à partir de 16 ans le bénéfice de cette excuse peut être retiré au regard de la gravité des faits ou s’il apparait que le mineur ont fait preuve au moment de l’acte de la maturité d’un adulte ! Ils seront alors jugés comme des adultes et encourt jusqu’à 30 ans d’emprisonnement
On entend introduire la comparution immédiate des adultes – le flagrant délit de jadis – pour les mineurs de 16 ans en oubliant que d’ores et déjà si le jeune est connu il peut faire l’objet dès 13 ans d’une procédure de jugement rapide devant le tribunal pour enfants avec saisine entre-temps du JLD-pour une détention provisoire. Si les faits sont graves un jeune de 13 ans, même inconnu, peut dès la sortie de la garde à vue être déféré à un juge d’instruction qui pourra après mis en examen le présenter à un JLD pour un mandat de dépôt L’histoire récente démontre que ce dispositif d’ordre public fonctionne.
Et que dire, cerise sur le gâteau, de cette disposition présentée à juste titre comme originale qui veut que mention du comportement perturbateur, sinon violent, du jeune soit demain inscrite sur le diplôme qu’il pourrait obtenir ou intégré dans son dossier Parcours sup. Quelle contribution à la réinsertion ! La société a tout à y gagner. On nie le droit à l’oubli et à l’évolution positive souhaitable et souhaitée du jeune concerné ! Au passage, c’est faire le pari, optimiste pour le coup, que ce jeune violent sera un jour diplômé !
En vérité, si on a pu tenir le dernier projet économique de ce gouvernement pour non crédible voire insincère, on peut aussi affirmer que s’agissant des problèmes de sécurité il ne fait pas preuve de plus de compétences et de sérieux.
Il s’appuie sur des leurres pédagogiques et psychologiques – le mythe de la peur de la sanction – insuffisants pour juguler des jeunes d’ores et inscrits dans la toute-puissance, le mal-être, le nihilisme et l’absence de confiance dans le monde adulte et qui n’offrent aucune perspective sérieuse pour ceux qui sont encore enfants. De nulle façon ce programme fourre-tout et mal ficelé ne peut être tenu pour le cadre structurant quand une nouvelle fois on néglige d’identifier qui et en quoi est en situation de responsabilité à l’égard des plus jeunes, quand on n’engage toujours pas les efforts pour étayer socialement et réellement les familles – parents et enfants – les plus fragiles étant observé que tous les services de proximité (protection maternelle et infantile, psychiatrie infantile, etc.) susceptibles de leur venir en aide et en étayage sont actuellement en berne quand ils n’ont pas purement et simplement été supprimés comme les Clubs et Equipes de prévention dans 18 départements sans que l’Etat réagisse (‘voir enco re une fois mes billets précédents).
On se réjouirait de la réaffirmation de la volonté de voir respectée la République et son dimension laïque, à savoir l’affirmation de la liberté de conscience si, là encore, on ne se contentait pas d’un discours incantatoire quand l’enjeu est de réaffirmer aux yeux les plus jeunes – et des autres- le sens de ces règles qui n’entendent de nulle façon porter atteinte à la liberté de croire ou de ne pas croire mais d’éviter le retour des guerres de religion. Or sur ce point encore on déchantera : nul appel comme on le souhaitait (cf billets antérieurs) à l’ensemble du corps social de se mobiliser auprès et par-delà les seuls enseignants dans ce travail de pédagogie républicaine.
Bref, une communication forte : « Dormez en paix Mesdames, Messieurs, nous réaffirmons l’autorité ! » et au passage un gage donné à une droite qui menace à tout instant de faire carrément sécession.
De la politique au petit pied pour meubler !